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Hommage à Jean-Paul Fitoussi, 29 avril 2022

C’est au moment de son retour en France, au début des années 1980, que j’ai connu Jean-Paul Fitoussi. Mais c’est surtout à partir de 1992 que nous avons travaillé ensemble, d’abord comme directeurs de deux centres de recherche en économie, l’OFCE (pour lui) et le Cepii (pour moi),avant de devenir collègues à Sciences Po, et aussi amis. Lorsqu’il y a quelques jours, rentrant tout juste d’un séjour à Washington, j’ai retrouvé le bureau que nous partagions à Sciences Po, mon bloc portait encore les conseils gourmands qu’il m’avait donnés en vue de ma prochaine visite à Florence.

D’autres ont, mieux que je n’aurais pu le faire, témoigné de l’apport académique de Jean-Paul. Je voudrais seulement rappeler sa démarche. Il se voulait hétérodoxe, parce qu’il jugeait qu’il y avait plus à découvrir en s’écartant de la ligne qu’en restant dans la ligne. Mais il savait les dangers d’une pensée qui s’en affranchit à ce point qu’elle en finit par se prendre elle-même comme référence. Sa démarche, il l’avait décrite en 1988 dans un livre co-écrit avec Edmund Phelps, The Slump in Europe : “our strategy will be to make a series of departures from the orthodox model, each in a new theoretical direction, always returning to the orthodox base camp rather than attempting to accumulate the departures as we go”. Hétérodoxe donc, mais intellectuellement discipliné. C’est la corde raide sur laquelle il allait s’attacher à franchir les précipices.

Je voudrais parler du rôle qu’il a joué dans le débat français et européen. Au début des années 1990, la cause semblait entendue : il n’y avait qu’une bonne politique. Parce que le système soviétique s’était effondré, parce qu’aux premiers temps du mitterrandisme la gauche était partie trop loin, avec les nationalisations à 100% et la tentation isolationniste de l’autre politique, plus aucun pas de côté ne semblait plus possible. Ce que Jean-Paul a entrepris de faire dans ce contexte, avant de synthétiser sa démarche en 1995, dans Le Débat Interdit, c’est de restituer un espace de discussion. Non pas entre de grandes voies alternatives dont l’heure était passée. Mais sur les stratégies et les moyens. Il était pour la monnaie européenne, pour la stabilité des prix, pour l’équilibre extérieur. Mais il tenait à ce qu’on discute des voies pour y parvenir, qu’on cesse de prétendre que la fin dictait les moyens. Et c’est ce rôle qu’il a assigné à l’OFCE qu’il a dirigé pendant plus de vingt ans. Dans un paysage sensiblement moins divers qu’il ne l’est aujourd’hui, l’institut n’a cessé d’aiguillonner utilement les responsables de la politique économique.

En 2002 Jean-Paul publie La Règle et le Choix, dont il faut citer in extenso les premières phrases, tant elles sont prescientes : « Telle qu’elle s’est construite, l’Union européenne présente un paradoxe : elle a certes nécessité de notables abandons de souveraineté de la part des États qui la composent, mais elle n’y a encore substitué aucun équivalent à l’échelle communautaire. Privilégiant un mode d’intégration qui consiste surtout à contenir les prérogatives des États à l’intérieur de normes toujours plus contraignantes, elle a peu à peu vidé le siège de la souveraineté nationale sans pour autant investir celui de la souveraineté européenne ». Ces propos étaient, à l’époque, fortement hétérodoxes. Ces lignes qui ouvrent une critique serrée des silences démocratiques de la construction européenne, on les croirait aujourd’hui extraits d’un discours d’Emmanuel Macron, si ce n’est pas d’Ursula von der Leyen.

En 2009 enfin, il remet au président Sarkozy un rapport préparé avec ses vieux complices Joe Stiglitz et Amartya Sen sur la mesure de la performance économique et du progrès social. La question est celle du PIB, de sa mesure, de ses limites, et des substituts possibles. Quelques années plus tôt, le rapport Stern a relancé la discussion sur les politiques climatiques. 2009 est l’année de l’échec de la conférence de Copenhague, et l’accord de Paris est encore loin. Mais la question des indicateurs et de leur rôle dans la politique économique est déjà posée. Le rapport ne la résout pas, parce qu’elle n’est pas soluble. Mais il l’explore avec une grande clarté, et fournira la base des progrès des comptables nationaux.

Hétérodoxie disciplinée, passion du débat, culte de la démocratie, mentalité de défricheur. C’est tout cela qui va manquer.

Hommage à Henrik Enderlein (Le Grand Continent, 1er juin 2021)

Le 20 avril, Henrik Enderlein a tweeté pour la dernière fois. C’était pour rappeler qu’en janvier 2020, à la conférence sur la sécurité de Munich, il avait animé un débat entre Annalena Baerbock, aujourd’hui candidate des Verts à la chancellerie, et Armin Laschet, le candidat de la CDU. Entre ces deux protagonistes, qui seront selon toute vraisemblance en coalition dans quelques mois et dont l’un ou l’autre dirigera l’Allemagne, l’accord, relevait le tweet, « est remarquable ».

Dans l’introduction à cet échange, Enderlein avait posé les termes du débat qu’il souhaitait conduire. Trois axes de tension, avait-il dit, structurent les discussions européennes : entre approche européenne et approche nationale, entre société ouverte et société fermée, et entre démocratie libérale et démocratie illibérale. Il est tentant mais trop facile, avait-il ajouté, de les résumer en la seule opposition entre les avocats de l’Europe, de l’ouverture et de la démocratie et les tenants de la nation, du repli et de l’autoritarisme. Et il avait invité les débateurs à dire comment bâtir une Europe qui protège.

Un échange allemand, donc, sur un thème très français. C’était caractéristique de sa démarche : questionner sans relâche un côté du Rhin en partant des interrogations de l’autre, ne jamais laisser s’installer la quiétude d’un consensus fondé sur le préjugé ou l’ignorance. L’intime connaissance qu’il avait des disputes qui agitent les deux pays, aussi bien que de leurs principaux acteurs, lui permettait de jouer ce rôle avec vigilance et pertinence. Avec lui on pouvait évoquer successivement les controverses sur la laïcité, puis le dernier arrêt de la cour de Karlsruhe : dans les deux cas, il n’ignorait rien de l’état de la question.

Le franco-allemand prend trop facilement la forme d’un exercice convenu, avec pour résultat des compromis sans substance entre des gens qui ne raisonnent pas de la même manière et ne se comprennent pas. Avec Enderlein, on était assuré du contraire : du contenu plutôt que de la posture, de l’engagement plutôt que de la méfiance, la recherche d’un accord au fond plutôt que d’une addition de précautions. Pour être utile, il fallait par exemple qu’un rapport commandé conjointement par deux ministres irrite autant d’un côté que de l’autre.

Entre France et Allemagne il n’était donc pas un simple passeur. Ces êtres sont parfois si rompus aux aller-retours qu’ils en finissent par perdre le Nord. Lui aimait comprendre et expliquer, mais surtout convaincre. Sur son terrain de prédilection, l’Europe, il ne cessait de mener bataille.

Formé par Tommaso Padoa-Schioppa à ses débuts à la Banque centrale européenne, Henrik Enderlein s’était forgé une vision exigeante des conditions de succès de l’aventure de la monnaie unique. Comme son mentor, il redoutait moins les atteintes – largement imaginaires – à l’indépendance de la banque centrale qu’une construction monétaire orpheline du projet politique qui l’avait fait naître. C’est pour cela qu’il ne craignait jamais de prendre à rebours une lecture devenue dominante en Allemagne, selon laquelle l’essentiel était de prévenir l’irresponsabilité budgétaire. Du diagnostic tranchant du « Groupe de Glienicke » aux propositions des « 7 + 7 », pour ne citer que deux rapports collectifs marquants auxquels il a contribué, les écrits témoignent de cette exigence.

Était-il pour autant, pour reprendre le titre de sa nécrologie dans la Frankfurter Allgemeine, Der Europäer ? Ses articles sur la dette des pays émergents avec Christoph Trebesch, un ancien étudiant dont il était fier, ne suffisent évidemment pas à équilibrer une liste de publications dominée par le thème européen. Mais Enderlein n’était pas l’homme d’une seule cause et ne se définissait pas comme un militant de l’Europe. S’il y consacrait tant d’énergie, c’est sans doute que sa maturité intellectuelle avait coïncidé avec une crise aiguë du projet d’intégration du continent, et qu’il savait qu’une faillite de cette entreprise ne pourrait que se traduire par un rétrécissement dramatique de l’espace des possibles.

La politique l’attirait. Proche des sociaux-démocrates, il s’attachait à contribuer à rénover la doctrine d’un parti vieillissant et entretenait un dialogue nourri avec ses responsables. Plus d’une fois, ceux-ci avaient voulu qu’il rejoigne l’un des ministères dont le SPD avait la charge. Le temps n’était cependant pas venu pour lui de franchir le pas et de troquer son identité professionnelle d’économiste pour une étiquette partisane. Il savait à quel point la politique allemande peut être clanique et préférait, pour le moment, poursuivre son chemin.

En 2018, il avait assumé la présidence de la Hertie School, une jeune école d’Affaires publiques établie à Berlin, au développement de laquelle il était associé depuis l’origine, et qu’il avait entrepris de transformer en Université au sens plein du terme. C’est à la Hertie qu’il avait organisé en 2017 un débat entre le candidat Emmanuel Macron, Sigmar Gabriel et Jürgen Habermas. École ouverte sur le monde et à l’affût des innovations, l’école est à l’image d’une ville qui investit de plus en plus dans les idées parce qu’elle sait qu’à défaut de devenir une capitale économique, elle peut revendiquer d’être une capitale intellectuelle. Quand, en février, il a dû se résoudre à démissionner de sa charge, Henrik Enderlein était en train d’en faire une institution incontournable, au carrefour de la recherche et du débat d’idées.

Comme tant d’autres de sa génération il était sans illusions. Mais pas sans rêves. À Munich, il en avait esquissé un pan : une alliance d’Europe, d’ouverture et de démocratie qu’il s’obstinait à croire possible. Il était trop perspicace pour ne pas percevoir les contradictions de ce projet, mais trop volontaire pour y renoncer. Il aspirait parallèlement à aider la gauche à concilier réalisme et aspiration au progrès et avait consacré les intermissions de la maladie à lire la monumentale biographie de Lyndon Johnson par Robert Caro. Dextérité politique et progrès social : l’assemblage lui parlait.

Henrik c’était tout cela. C’était aussi, c’était surtout une vivacité, une chaleur, un enthousiasme, une capacité d’entraînement, une puissance d’amitié qui désarmaient les préventions et donnaient des ailes. Des cohortes d’étudiants l’ont éprouvé. Beaucoup de ses aînés aussi, jusqu’à se sentir, aujourd’hui, étrangement orphelins de leur cadet.

Avant-propos de l'édition 2021 de Politique économique (De Boeck, mars 2021)

Agnès Bénassy-Quéré, Benoît Coeuré, Pierre Jacquet, Jean Pisani-Ferry

Une nouvelle édition

La première édition de ce manuel date de 2004. Cette livraison en est la cinquième édition en langue française. Entre temps sont parues deux versions anglaises, une version chinoise (la seconde est en préparation), et une version italienne.

D’une édition à la suivante, beaucoup a changé à chaque fois. Non que le projet original ait été significativement altéré au fil des ans. L’idée initiale de ce manuel était d’amener les étudiants à faire le lien entre l’enseignement théorique qu’ils recevaient et l’élaboration des politiques économiques à laquelle certains d’entre eux se destinaient. Cette démarche a donné lieu à des enseignements à l’Université ou dans des grandes écoles, que nous poursuivons avec la présente édition.

Si ce livre est cependant très sensiblement différent de ses premières versions, c’est que les questions de politique économique auxquelles nous sommes confrontés et les réponses que suggère l’analyse se sont profondément transformées. La Grande Crise Financière, la Grande Récession de 2008-2009 (les majuscules reflètent le traumatisme qu’elles ont causé), la crise de la zone euro, la quasi-disparition de l’inflation, l’envolée des dettes publiques, la montée des inégalités, l’affirmation des pays émergents et l’affaiblissement paradoxal des gains de productivité sur fond de mutation du travail ont marqué les deux premières décennies du siècle. Elles ont posé de nouvelles questions, suscité de nouvelles recherches et appelé de nouvelles réponses, à la fois ancrées dans la réflexion théorique et instruites de l’expérience et de l’analyse des donnés.

C’est à rendre compte de ces questions, de ces recherches et de ces réponses que nous nous sommes attachés dans ce livre, en vue d’offrir au lecteur un état aussi actuel et complet que possible de la politique économique telle qu’elle se pense et se pratique aujourd’hui. Le résultat, nous l’espérons, est un ouvrage sans équivalent.

Cette cinquième édition paraît alors qu’en Europe, aux États-Unis et dans la plupart des pays émergents, l’économie et la société sont gravement chahutées par la pandémie de COVID-19. D’un trimestre à l’autre, l’onde de choc des événements sanitaires affole les indicateurs statistiques, précipitant simultanément toute une série de pays dans des récessions sans précédent en temps de paix, avant de laisser place à un rebond d’ampleur tout aussi exceptionnelle. Nul ne sait vraiment combien de temps durera cette crise, ni quel héritage elle laissera derrière elle, dans chaque pays et sur l’organisation du monde. Les débats font rage entre ceux qui y voient un choc très violent mais dont l’impact sur les structures de production et de consommation (mais pas sur les dettes publiques ou privées) sera passager, et ceux qui mettent l’accent sur le caractère persistant voire permanent des réallocations entre métiers, entreprises et secteurs qui ont commencé à se produire.

Nous n’avons pas tenté une réécriture à chaud de cet ouvrage. Et plutôt que d’insérer ici ou là des allusions au contexte de l’année 2020, nous avons choisi d’arrêter les compteurs à la fin de l’année 2019, avant le surgissement de la pandémie. Tel quel, le livre offre cependant au lecteur les outils de compréhension et de discussion des dilemmes de politique économique que la crise sanitaire a ouverts, et en particulier la boîte à outils nécessaire pour analyser les réponses budgétaires et monétaires et leurs limites, les enjeux européens ou l’impact sur la croissance potentielle.

L’interaction entre recherche et décision

Tous quatre enseignants, ayant tous quatre combiné recherche et aide à la décision, nous avons été tour à tour conseillers, experts, membres ou animateurs d’instances consultatives, hauts fonctionnaires, banquiers centraux, chercheurs à l’université ou dans des think tanks, commentateurs. Ayant, à des titres divers, consacré une partie de notre vie professionnelle aux questions internationales, au développement ou à l’Europe, nous avons été régulièrement confrontés à la pratique de la politique économique dans d’autres pays, proches ou lointains. Ces expériences nous ont conduits à situer ce livre à l’interface entre la théorie et l’action.

Pour la politique économique, comme pour le débat public, la qualité de cette interface est d’une importance majeure. La crise qui a frappé le monde développé en 2008 a mis en jeu des mécanismes dont certains étaient repérés et avaient été étudiés à l’occasion des crises financières passées, mais dont d’autres ont été mis à jour à l’occasion des turbulences récentes. La réaction à la tempête financière, les crises bancaires, la réponse à la récession qui a suivi et la mise en place de nouveaux dispositifs de prévention des crises ont mobilisé des approches et des connaissances enfouies et parfois presque oubliées, les enseignements des travaux d’histoire économique et des modèles dont l’utilité concrète paraissait incertaine en période calme.

Il en va de même face à la pandémie de Covid-19. Pour éviter une catastrophe économique et un désastre social, les États ont pleinement joué leur rôle d’assureurs en dernier ressort des ménages et des entreprises. Ils ont engagé une action budgétaire massive, sans précédent en temps de paix. Et s’ils ont pu le faire, malgré un endettement souvent déjà élevé, c’est que les banques centrales ont appuyé leur action en augmentant fortement la taille de leurs portefeuilles d’actifs publics, en s’engageant à maintenir des taux d’intérêt durablement bas et en signalant clairement qu’elles n’entendaient pas laisser des vagues de paniques financières entraver l’action des gouvernements. La complémentarité qui s’est ainsi établie entre politique budgétaire et politique monétaire tranche avec les contradictions d’après la Grande Crise Financière (quand les États avaient réduit trop tôt le soutien budgétaire, forçant les banques centrales à faire toujours plus) et questionne la doctrine issue des épisodes inflationnistes des années 1970 et 1980, qui donnait priorité à la protection de la banque centrale contre un risque d’asservissement aux convenances politiques. Face à la crise du coronavirus, les États ont retrouvé les réflexes de l’économie de guerre, et avec elle la question, dont on n’imaginait plus qu’elle puisse se poser, d’une éventuelle monétisation des dettes publiques. La question ouverte aujourd’hui est de savoir si cette parenthèse se refermera ou annonce une organisation nouvelle de la politique économique.

Bien souvent, les questions d’aujourd’hui rejoignent ainsi celles d’hier et conduisent les économistes à relire les grands anciens : Keynes sur la déflation, Kindelberger ou Minsky sur les crises financières, Alvin Hansen sur la faiblesse des taux d’intérêt, Ricardo sur la fiscalité, Schumpeter sur la croissance ou Marx sur la répartition, par exemple. Ces influences vont et viennent, comme en témoigne l’engouement éphémère des économistes monétaires, dans les années 2010, pour la théorie du taux d’intérêt naturel de Knut Wicksell.

La recherche contemporaine réinterprète cependant leurs idées à la lumière des progrès de la théorie et du fantastique développement de l’analyse empirique. Là où les économistes du XIXème avaient recours à leur expérience directe et où ceux du XXème s’appuyaient au mieux sur quelques séries temporelles agrégées, nous disposons aujourd’hui d’une masse phénoménale de données individuelles sur les ménages, les entreprises, les flux commerciaux ou les transactions financières, et des outils mathématiques et informatiques (économétrie et, de plus en plus, intelligence artificielle et apprentissage automatique) pour les exploiter. Cette révolution de la donnée, qui est loin d’être achevée, permet de répondre à d’anciennes questions, mais aussi d’en faire surgir de nouvelles. Elle permet notamment de prendre en compte de manière beaucoup plus fine l’hétérogénéité des entreprises et des ménages, de suivre en temps réel les fluctuations de l’activité, et de comprendre en quoi la coexistence de multinationales et de PME, ou les inégalités de revenu et de richesse, peuvent affecter non seulement la répartition, mais les grandeurs macro-économiques elles-mêmes.

Malgré des progrès notables au cours des dernières années, l’Europe continentale demeure en retard dans l’échange entre théories, action et évaluation. Le va-et-vient entre recherche et vie publique reste insuffisant. Comme l’a montré la crise de la zone euro, préjugés et tabous ont la vie trop dure. La création d’une nouvelle monnaie transnationale était à l’évidence une entreprise d’une très grande ambition aux dimensions politiques autant qu’économiques. Bien des embûches qu’elle présentait pouvaient être anticipées, et avaient d’ailleurs été repérées dès l’origine par la recherche, quand elles n’étaient pas annoncées par l’Histoire. Les problèmes induits par l’hétérogénéité de la zone monétaire, par l’insuffisance des mécanismes d’ajustement ou par la faiblesse des incitations à la responsabilité budgétaire, pour ne citer que ceux-là, étaient connus. Peut-être les économistes auraient-ils dû les rappeler plus fermement. Pour anticiper et prévenir les crises, un dialogue plus riche et plus exigeant entre recherche et politique économique aurait été nécessaire. Il a fallu la crise pour qu’il s’intensifie.

Cette insuffisance est coûteuse. La conception des politiques en souffre et les erreurs mettent trop longtemps à être identifiées et corrigées. En outre, l’expérience montre que la voix de l’Europe n’est audible dans les débats internationaux que quand elle est intellectuellement argumentée, ce qui suppose aussi que les Européens, quand ils débattent entre eux de la fiscalité, de l’emploi ou de l’avenir de l’euro, dépassent la répétition des préjugés nationaux et tentent de bonne foi d’élaborer une analyse commune.

La responsabilité des économistes

Plus denses sont les interactions entre théorie et politique économique, plus grande est la responsabilité des économistes. Cela pose plusieurs questions qui touchent à leur intégrité, à leur ouverture intellectuelle, au champ de leurs analyses et à leur aptitude au débat.

La crise financière a jeté la suspicion sur la profession. Les économistes ont été accusés d’aveuglement, et même de complaisance. On leur a imputé un certain conformisme intellectuel, une confiance excessive à l’égard des mécanismes de marché, une proximité trop grande avec le monde de la finance, une indulgence coupable envers les puissants. Après la crise de la zone euro, on leur a reproché d’avoir fait une lecture biaisée des coûts et bénéfices de l’intégration monétaire, en sous-estimant les premiers pour surestimer les seconds. Plus largement, on les soupçonne d’une singulière myopie, qui les conduit à ne prendre en compte que les interactions sociales à caractère pécuniaire, à s’intéresser davantage à l’accroissement des richesses qu’à leur répartition ou qu’aux dommages causés par la croissance et à ignorer les forces politiques qui façonnent les institutions économiques.

S’agissant de l’intégrité, il faut reconnaître que la profession économique, qui est si attentive aux incitations, a longtemps été négligente à l’égard des conflits d’intérêts auxquels elle est elle-même sujette. Au-delà des aspects directement pécuniaires, qui sont indéniables, les économistes doivent être lucides sur le risque qu’une proximité trop grande avec telle ou telle communauté professionnelle – y compris le pouvoir politique ou technocratique – biaise leur approche et finisse par émousser leur capacité critique. Un exercice d’introspection sur la déontologie du métier a été engagé. Il a débouché sur un renforcement des exigences de transparence, par exemple dans les revues professionnelles, qui devra être poursuivi.

S’agissant du reproche d’aveuglement doctrinal, il se fonde souvent sur une vision erronée. L’analyse économique n’est pas le cheval de Troie d’une pensée univoque d’inspiration libérale, comme on le considère trop souvent (il suffit sur ce point de renvoyer à la liste des récents récipiendaires du Prix Nobel, qui donne toute sa place à l’étude des inégalités, de l’action publique et de la rationalité limitée des agents économiques). Elle prend certes pour acquis que le marché est un outil d’allocation efficace ; mais elle fournit aussi les instruments qui permettent de cerner et corriger ses défaillances ou ses effets inégalitaires. La démocratie gagnerait à ce que les participants au débat public se saisissent davantage et à meilleur escient des outils qu’offre l’analyse économique.

Contrairement à une image courante, les économistes ne passent d’ailleurs pas leur temps à ressasser les Tables de la Loi, mais se consacrent toujours plus à des travaux empiriques et expérimentaux. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les recherches publiées dans les grandes revues. Quant à la théorie, elle est indispensable pour mettre à jour les paramètres clés qui feront le succès d’une politique, dans un environnement ou « tout est dans tout ». Elle est aussi nécessaire pour l’analyse empirique qui ne saurait s’en tenir à des régularités purement statistiques.

Il est vrai cependant que certains économistes conçoivent davantage leur rôle comme celui d’avocats – du marché, de l’ouverture économique, de la stabilité des prix ou de la (dé)croissance –, quand ce n’est pas celui de commentateurs pour la télévision ou les réseaux sociaux, que comme celui de chercheurs ou d’ingénieurs. Les mêmes, parfois, sur-jouent ce rôle social alors même que leurs travaux témoignent d’un souci de précaution et de mesure. Et il est vrai que les décideurs se sont parfois laissé aller à une lecture biaisée des résultats de la recherche, qui donnait un poids excessif aux travaux favorables à leurs a priori. Au milieu des années 2000, les travaux sur la finance ou sur l’euro dont la tonalité était complaisante ont été trop souvent privilégiés, et ceux qui débouchaient sur un diagnostic plus inquiet trop souvent ignorés. C’est moins la recherche qu’il faut ici incriminer que la nature des relations entre recherche et décision. Et les économistes doivent reconnaître leur part de responsabilité dans la gestion de cette interface. L’oublier, c’est consentir à l’instrumentalisation.

S’agissant du champ de la recherche, celle-ci répond à la fois à une logique de développement endogène de l’offre (par les chercheurs, eux-mêmes mus par des exigences de publication) et à une logique de demande, en particulier de la part de la politique économique. Cette double dynamique lui assure une assez grande ductilité, mais ne garantit pas nécessairement une attention suffisante aux enjeux sociaux et sociétaux. Les inégalités de revenu, de richesse ou d’accès et leurs conséquences macroéconomiques ont trop longtemps fait l’objet d’une attention trop distraite, dont témoigne d’ailleurs la liste des lauréats Nobel jusqu’au prix attribué en 2015 à Angus Deaton. Au sein d’une profession très masculine et où les minorités sont faiblement représentées, les questions de genre et de discrimination, et leurs conséquences pour la formation des richesses et du capital humain, n’ont longtemps pas reçu l’attention qu’elles méritent. Enfin, les économistes pèchent trop souvent par arrogance et pensent que leur discipline surplombe le champ des sciences sociales, les dispensant de consulter historiens, anthropologues ou sociologues (sans parler des épidémiologistes). Ces travers ne doivent cependant pas masquer le développement très rapide des recherches universitaires dans le domaine des inégalités et des politiques de redistribution, ainsi que des travaux pluridisciplinaires.

Si la recherche doit être « utile », il faut toutefois prendre garde à ce que le souci de répondre aux besoins immédiats de la décision ne la détourne pas de questions de fond, parfois théoriques (préférences des agents, caractérisation des équilibres de marché et des jeux entre acteurs, choix en univers incertain, etc.), plus souvent empiriques (construction et mise à jour régulière de bases de données et de modèles de micro- et macro-simulations). La variété des compétences et des connaissances accumulées en continu leur ont ainsi permis une réactivité extraordinaire au printemps 2020, lorsqu’ils ont retroussé leurs manches et ouvert grand leur boîte à outils pour analyser en temps réel les conséquences de la pandémie de Covid-19 et proposer des politiques économiques de grande ampleur pour y faire face.

S’agissant enfin de la myopie et apparente non-rationalité des individus, les économistes ont beau jeu de mettre en avant celles et ceux d’entre eux qui, d’Elinor Olstrom à Richard Thaler (l’une et l’autre couronnés par le prix Nobel), se sont attachés à prendre en compte les interactions non monétaires, les incitations non pécuniaires et les phénomènes de groupe. Et ils se font fort, également, d’expliquer qu’avec le concept d’utilité, la maximisation intertemporelle ou la fonction de bien-être social, ils disposent de tous les outils voulus pour une approche multifactorielle des finalités et des modalités de l’action publique, bien loin de la simple religion du taux de croissance. Il n’empêche : ils oublient – nous oublions – parfois de suivre Keynes, qui invitait sa corporation à prendre exemple sur la modestie des dentistes. La force de l’économie vient de l’association qu’elle a su trouver entre rigueur analytique et vérification empirique. Cela ne suffit pas à lui donner un statut impérial parmi les sciences sociales.

Une structure originale

Ce manuel a pour ambition d’aider à combler une lacune en proposant une approche systématique de la politique économique. Les cours d’économie ont généralement pour objet l’apprentissage de l’analyse théorique dans des champs particuliers : macroéconomie, microéconomie, finance, économie internationale, par exemple. La représentation des choix de politique économique y reste le plus souvent abstraite et schématique : la politique budgétaire y est résumée par le choix du niveau de la dépense publique, la politique monétaire par la fixation du taux d’intérêt. À l’inverse, on dispose de témoignages ou d’essais de grande qualité sur la politique économique. Mais plutôt que d’en analyser l’ancrage théorique, leur objet est davantage de détailler le fonctionnement des institutions qui en ont la charge, de montrer comment les convictions se forment et se mettent en œuvre, ou de relater une expérience.

Notre souci a été de proposer un traitement méthodique des apports de l’analyse théorique à la décision. Nous avons souhaité montrer comment la théorie éclaire l’action, comment les idées cheminent des modèles vers la décision, et aussi comment l’action concrète et les aléas de la conjoncture suscitent de nouvelles questions, ouvrent de nouvelles pistes de recherche, favorisent de nouvelles interprétations et débouchent sur de nouveaux modèles. Avec la crise financière, la disparition de l’inflation, l’affaiblissement de la croissance, la montée des préoccupations écologiques, la poussée des inégalités et bien d’autres transformations qui ont généralement pris par surprise économistes et décideurs, les premières décennies de ce siècle ont été riches de telles interactions. La crise pandémique de 2020 et son onde de choc macroéconomique ont ouvert un nouveau chapitre, qui est loin d’être écrit.

Nous nous sommes attachés à expliciter ce cheminement des idées et des questions sans dissimuler les incertitudes qui demeurent, les zones d’ombre, les présupposés idéologiques, les controverses et la place qui reste nécessairement au jugement dans les décisions. Nous cherchons donc, à la fois, à analyser les problèmes et les arbitrages auxquels les décideurs sont confrontés, à dresser le bilan des principales approches théoriques qui nous semblent pertinentes pour éclairer ces arbitrages, et à utiliser ces acquis pour analyser les principales options de politique économique. Nous espérons ainsi que ce livre fournira au lecteur les outils nécessaires pour comprendre et apprécier les débats qui vont se développer dans les années à venir.

Le livre comprend dix chapitres. Les trois premiers présentent le cadre général de la politique économique. Le chapitre 1 en rappelle les fondements et présente les principales méthodes et analyses qui seront utilisées dans le reste du manuel. Le chapitre 2 pose les fondements et les limites de l’intervention publique, et étudie les interactions stratégiques entre la politique économique et ceux qu’elle cherche à influencer. Le chapitre 3 introduit la pluralité des décideurs, en particulier dans le cadre d’organisations fédérales ou de la coopération internationale. Les sept chapitres suivants abordent chacun un grand domaine de la politique économique : politique budgétaire (chap. 4), politique monétaire (chap. 5), stabilité financière (chap. 6), intégration financière internationale et politique de change (chap. 7), politique fiscale (chap. 9), politiques de l’emploi et du marché du travail (chap. 9), politiques de croissance (chap. 10). Chacun de ces sept chapitres thématiques est construit selon la même architecture : les enjeux et faits marquants, puis les théories, puis les politiques. Chacun peut être abordé indépendamment des autres, même si chacun s’appuie sur les résultats et analyses d’autres chapitres et y renvoie.

Ce manuel n’est évidemment pas exhaustif. Il ne couvre ni l’ensemble des théories ni l’entièreté du domaine de la politique économique. Le champ dont nous traitons est restreint aux objectifs de la macroéconomie au sens large : monnaie, budget, finance, taux de change, croissance, fiscalité et redistribution, emploi. Nous n’abordons qu’à la marge des questions fondamentales comme la protection sociale, la sauvegarde de l’environnement ou les échanges internationaux.

Nous avons aussi pris le parti de ne pas consacrer un chapitre spécifique aux questions européennes, mais de les aborder au fil des sujets dont nous traitons : dans chacun des domaines couverts, certains des leviers d’action de la politique économique se situent au niveau européen, d’autres au niveau national ou infra-national. Le chapitre 3 éclaire, à l’aide des instruments de la théorie économique, l’articulation entre les différents niveaux de gouvernement (local, national et international) et l’organisation de la gouvernance mondiale.

La plupart du temps, nous avons réservé les développements mathématiques aux encadrés techniques. Pour nous, les mathématiques ne sont ni l’objet de la science économique, ni l’instrument qui permet de séparer vérité et idéologie. Comme l’a écrit Paul Romer, les mathématiques peuvent parfaitement être utilisées à l’appui d’approches idéologiques et, à l’inverse, certains des articles théoriques de référence cités dans ce livre ne comportent aucune équation. Cependant, les mathématiques constituent un langage essentiel, souvent même indispensable, qui permet de passer, de façon cohérente et rigoureuse, d’un faisceau d’hypothèses à des conclusions. La formalisation sert aussi à développer des outils statistiques permettant de confronter les hypothèses aux données du monde réel. Ce langage permet de construire un discours rigoureux qui, in fine, doit pouvoir être transmis avec des mots. Nous nous attachons dans ce manuel à donner des exemples de cette démarche.

Chaque chapitre comprend de nombreuses « aides à la lecture » : graphiques et tableaux, car les faits sont au cœur de notre approche ; encadrés théoriques ou descriptifs ; liste des références bibliographiques utilisées. Les mots-clés sont tous définis dans un des chapitres et référencés en fin d’ouvrage. Nous avons cherché à mobiliser dans la mesure du possible les références disponibles en français, mais comme les domaines qu’elle analyse, la science économique elle-même n’échappe pas à la mondialisation : la majeure partie des références sont donc en anglais et si la maîtrise de l’anglais économique n’est pas nécessaire pour lire cet ouvrage, elle est très souhaitable pour approfondir les questions qui y sont traitées.

Nous tenons à remercier tous ceux qui ont encouragé cette aventure et l’ont rendue possible. Cette édition a bénéficié des commentaires nombreux de nos élèves, assistants, collègues et lecteurs depuis la première publication du livre. Sans eux, ce livre serait moins précis et rigoureux.

Écrire sur la politique économique nécessite de mettre à jour inlassablement nos données et plus généralement nos représentations du monde. Pour cette dernière édition, nous avons aussi bénéficié d’une assistance particulièrement efficace de la part de Léonard Bocquet et de Guillaume Wald. Qu’ils en soient remerciés.

Agnès Bénassy-Quéré, Benoît Cœuré, Pierre Jacquet et Jean Pisani-Ferry

Novembre 2020


Liberty’s foot-soldier: un beau portrait de Samuel Paty dans The Economist

Samuel Paty, schoolteacher, was beheaded by a militant Islamist on October 16th, aged 47

Peu d'articles nous ont dit qui était Samuel Paty. Ce texte paru le 22 octobre dans The Economist nous en donne une idée.

In case anyone found his lessons boring—though it was hard to think that even teenagers would be turned off by history, geography or moral and civic education—Samuel Paty liked to pep them up. Art was a good way to do it. For the centenary of the Armistice in November 2018 he took over the art room, spread a white sheet on the floor, and picked seven pupils from troisième, all 14 or 15, to make a splattering mess on it with paint, to represent the war. One of them lay sprawled on it as a dead soldier, while the others, in black, knelt round. Another played a mother reading a letter from her son at the front. A third was a soldier made mad by the fighting, repeating words over and over. At the end they held a minute’s silence. The performance was moving, and made the children think.

The next year he got his class to illustrate “Liberté, Egalité, Fraternité”. They copied each other a bit. Those who drew “Equality” mostly showed it as a body or a face with two equal halves, boy and girl, or brown and white. (The school, the Collège du Bois d’Aulne in Conflans-Sainte-Honorine, north-west of Paris, had a diverse intake of races and religions, though the suburb itself was largely white and middle-class: small detached houses, well-trimmed hedges, tree-lined streets.) Those who drew “Fraternity” based their pictures on a globe, with white and brown hands cradling it into the shape of a heart. “Liberty” proved hardest for them. Quite a few drew the Statue of Liberty combined with the tricolore, and one depicted an open book winged like an angel. The drawing that stood out, when he pegged them up and proudly photographed them for the school website, was a bald staring head with sticking-out ears and, instead of a mouth, a cage.

This sort of thing not only livened up the lessons but also made the pupils think him sympa, even exciting, the teacher they hoped they would get when they changed years. He didn’t look the sort: a shy slight figure with glasses, living in a second-floor flat in an even quieter place, Éragny, with his five-year-old son. (He had moved to the town and to Bois d’Aulne, after a succession of placements in Seine-et-Marne, five years before, when his partner had to transfer for work, but then the relationship had crumbled.) His out-of-school life was mostly tennis, not competitive, just social at the local club, several times a week. Otherwise he kept himself to himself, not seeing much of the neighbours except when he picked up his bread on his walk back from school.

In class, though, he taught with passionate energy, especially on Athenian democracy and the French revolution. He was strict with his pupils, but he cared about them, and had regularly phoned their homes during lockdown to check they were ok (as well as to see where their homework was). Since many were Muslim, he went for a day-course last November at the Institut du Monde Arabe to get a little more into their world. Afterwards he wanted to invite its staff to give a presentation at the school, comparing the music of the Maghreb with that of the medieval French trouvères. Teaching was about opening minds; his, too.

When it came to teaching free speech as part of the national curriculum, he liked to show his quatrième class two caricatures from the magazine Charlie Hebdo which, in January 2015, had been attacked by murdering Islamists. He had done so for several years; this year it had added edge, with the trial of the accomplices going on. The caricatures were, first, Muhammad holding a “Je Suis Charlie” sign, blasphemous to Muslims merely for giving him a face. Most pupils might be unimpressed with that, but the second caricature was clearly rude: Muhammad on all fours, naked, with a star emerging from his backside and the caption “A star is born!”.

Once his pupils had seen the drawings he would explain that French law protected them, as part of the liberty enshrined in the Republic. Then they would debate why and whether it should, not angrily—he insisted on that—but reasonably, carefully marshalling their arguments. Being aware, though, that the caricatures were strong stuff for many 13-year-olds, especially the Muslim children, he warned his pupils at the start that they could look away if they thought they might be offended. He had to be careful, as it was against the law to identify anyone by their religion; the warning had to be general. But he had done all this before, and the result had been a mutually respectful conversation.

This time the backlash was furious. A number of Muslim parents objected, and one filed a complaint to the police. He also posted a video on Facebook to mobilise others, identifying who the teacher was and calling him a voyou, a thug: “He should no longer teach our children. He should go and educate himself.” A known Islamist agitator, Abdelhakim Sefrioui, came to the school and made a video decrying “irresponsible and aggressive behaviour”. The mobiliser’s daughter, Zaina, said the prof wanted to attack Islam, and had done so that day by asking Muslims specifically to raise their hands and then, if they liked, to leave.

That was lies, as he told the police. Zaina had not even been in the class. But at the first claim that the teacher of histoire-géo was an Islamophobe the principal called him in, and her superiors requested a visit by an inspector from the local education authority. They, like the police, supported him, and said he had followed correct classroom procedure. He would not face disciplinary action. The moral and legal weight of the French state was on his side, and he felt confident enough, as well as angry enough, to file a defamation complaint against the parent who had abused him.

He also felt threatened, though. The level of hate in the attacks was quite new, and it had spread wide, far beyond Conflans. Now he kept his head down in the corridors, and was noticeably out of sorts. His walk home from school, a short stroll through a wood, no longer felt safe, so he took the more open, still quiet, still leafy streets. As he set off for home on the 16th he had just finished teaching a class of petits sixièmes about prehistory, a relatively calm subject. The All Saints’ break was about to start, a chance to let things cool down a bit. The tennis court beckoned. He wished his pupils, and they wished him, “Bonnes vacances.”

Annuler la dette : une ineptie nuisible au débat démocratique

Pour l'éco, Septembre 2020

Pour limiter l’impact de la crise sanitaire, les États s’endettent comme jamais. Il le fallait. L’Union européenne a décidé de faire de même. Excellente décision. Et la Banque centrale européenne a lancé un programme massif d’achat d’obligations publiques, financé par émission de monnaie. C’est dans sa mission.

Tout cela va devoir continuer aussi longtemps que nécessaire. Instruits par l’erreur de 2011, lorsque la zone euro s’est prématurément tournée vers la réduction des déficits, les gouvernements ont compris qu’il n’est pas l’heure de virer vers l’austérité. C’est heureux.

À l’issue de cette crise, on comptera 20 ou 30 points de PIB de dette publique en plus. Avec des taux d’intérêt nuls ou négatifs, cela restera soutenable. Sinon, il faudra en venir aux solutions hétérodoxes : une dévalorisation des dettes par l’inflation (une monétisation), un abandon partiel de créances par les prêteurs (une restructuration), un impôt exceptionnel sur la richesse. Il ne doit pas y avoir de tabou. Mais agiter aujourd’hui ces perspectives improbables ne servirait qu’à faire peur aux acheteurs de titres publics.

Un débat franco-français s’est ouvert sur une solution prétendument indolore, l’annulation partielle de la dette détenue par la BCE, éventuellement conditionnée à des investissements climatiques. Si elle était disponible, il faudrait s’en réjouir : il n’y a aucune raison morale de faire payer la dette COVID à qui que ce soit. Mais elle est juridiquement inaccessible et économiquement inepte.

Les traités européens sont sans appel : une annulation volontaire par la BCE, voire même une détention explicitement perpétuelle de la dette, seraient assimilés à un financement monétaire et sont donc proscrits. Bien sûr, on peut envisager de changer les traités. Mais même si un improbable accord unanime se trouvait réuni, ce serait sans effet économique.

Chacun comprend en effet qu’une entreprise endettée auprès d’une banque dont elle est le seul actionnaire n’améliore en rien sa situation en obtenant l’annulation de son dû. Il en irait de même ici : la BCE est une entité publique dont les actionnaires ultimes (via les banques centrales nationales) sont les États ; une annulation ne changerait rien au bilan du secteur public agrégé (BCE + États).

Pour acheter des obligations d’État, la BCE a émis de la monnaie, aujourd’hui détenue par les banques auxquels celle-ci sert de réserve de trésorerie. Pour le secteur public agrégé, cette monnaie est une dette, actuellement rémunérée à un taux négatif. Si, lorsque la situation économique se sera normalisée, la BCE augmente son taux d’intérêt, cette dette lui coûtera. Elle devra alors réduire ses versements de dividendes aux États. Et si elle n’augmente pas les taux alors même que son mandat le voudrait, elle s’engagera dans la dévalorisation par l’inflation et pénalisera (entre autres) les prêteurs.

C’est aussi simple que cela. Prétendre qu’on peut annuler la dette sans que cela coûte rien à personne n’est qu’une mystification nuisible au débat démocratique.

Philippe Frémeaux : plusieurs vies, un seul homme

(Hommage à mon ami Philippe Frémeaux, ancien directeur d'Alternatives économiques, 6 août 2020)

Tour à tour enseignant, journaliste, consultant, chef d’entreprise, Philippe a eu plusieurs vies. Jamais prisonnier d'aucune de ces incarnations, il a fortifié ses convictions à l’épreuve de toutes ses expériences, et de chacune il a su tirer le meilleur.

De l’enseignant, il avait conservé le goût et l’art de faire comprendre, et c’est sans doute l’une des raisons qui l’avaient conduit, très tôt, à se rapprocher d’Alteréco (c’est là que nous nous sommes connus, il y a quelque quarante ans, autour d’inévitables et bourratifs jambon-beurres). Mais aussi, parce qu’il avait été professeur de sciences économiques et sociales, il était animé de la conviction que les questions réputées économiques ne peuvent se lire à travers le prisme d’une seule discipline, sans prendre en compte à même hauteur leurs dimensions sociologiques, anthropologiques ou politiques. Il n’avait pas attendu l’économie expérimentale pour se méfier de l’homo economicus et lui préférer l’homo socialis. Des inégalités, notamment, il ne voulait pas qu’on donne une lecture étroite fondée sur la nature du progrès technique, la concurrence, le rendement du capital ou même, de manière plus englobante, la mondialisation. Il ne pensait pas qu’on puisse les comprendre sans prendre en compte compromis sociaux et normes collectives. Et tant pis pour ceux qui lui opposaient qu’à force de convoquer toutes les disciplines, on ne se soumet à aucun régime de preuve.

Du consultant spécialisé, il avait retenu une approche concrète, industrielle des phénomènes économiques. Ce n’était pas seulement, pas d’abord sur la base de théories, de modèles ou des grandeurs agrégées de la comptabilité nationale qu’il en appréhendait les mécanismes, mais à partir des produits et de celles et ceux qui produisent ou consomment. Il savait bien sûr la valeur analytique des concepts (tout autant, d’ailleurs, que leur valeur politique) mais il s’en méfiait aussi, et aimait les tester à l’épreuve des réalités matérielles. Pour parler avec lui de transition écologique, mieux valait savoir comment fonctionne une turbine.

Du chef d’entreprise – du patron, treize ans durant, d’Alternatives économiques – Philippe avait gardé un réalisme assumé et tranquille. Ce n’était pas la posture morose de ceux qui ont renoncé à leurs utopies, mais l’exigence lucide de ceux qui veulent construire sur la terre ferme. Il tenait pour une évidence que la prospérité collective s’ancre dans la productivité du travail et la santé économique des producteurs. Et il savait mieux que personne qu’une entreprise à finalité alternative est, comme toute autre et parfois plus que toute autre, soumise à l’impératif de rentabilité. Là n’était pas l’essentiel, certes, mais il était indispensable que la maison tourne et dégage les moyens de son propre développement. Gare à qui voulait se lancer dans une nouvelle aventure au mépris du compte d’exploitation : il était vite prié de revoir ses projets.

Le journaliste s’était nourri de ces expériences multiples. Il avait fait siennes les ambitions fondatrices d’Alternatives économiques – simplifier sans dénaturer, critiquer sans travestir, imaginer sans s’illusionner – parce qu’il se retrouvait pleinement dans ces alliances de contraires. Autant l’homme de convictions était stable, autant le dialecticien était mobile. Mais c’est d’une manière très personnelle qu’il portait ses idées, avec un mélange tout particulier de sérieux et d’humour qui brouillait les pistes et déroutait ses contradicteurs.

Au fil des années le journaliste engagé en était venu, sinon à se muer en une institution, au moins à tenir un rôle social, avec ce que cela comportait de responsabilité, de contraintes, parfois de contradictions. Il remplissait le rôle du docteur ès-alternatives avec précision bien sûr, avec conviction surtout, et puisqu’il le fallait ne manquait pas, avant de se risquer à surprendre, de s’employer à conforter. Mais non sans que le coin de sa paupière rappelle discrètement, mais avec insistance, qu’il ne se résumait pas à son personnage.

Depuis plusieurs années, Philippe se savait menacé. Aussi longtemps que possible, il a poursuivi son chemin, et traité de sa propre mort avec la même ironie qu’il employait pour parler des sujets difficiles. Ce n’était pas le détachement des blasés mais plutôt celui des empathiques, dont la générosité est si essentielle qu’il faut sans cesse la protéger d’une armure. Il y a quelques semaines, il m’a appelé pour m’inviter à un colloque qu’il organisait en novembre et, comme en incidente, pour m’annoncer qu’il était condamné. Si je suis encore là, me dit-il, cela me fera plaisir que tu viennes. Si je n’y suis plus, ajouta-t-il avec un sourire dans la voix, tu pourras parler de moi et, compléta-t-il avec un sourire redoublé, tu pourras faire mon éloge. C’était Philippe.

Facts, not words: The EU role in the deconfinement phase

Bruegel Post, 22 April 2020

Each year, 500 million passengers fly across the European Union. Each day, 1.3 million employees commute to work in another EU country. Ten million European citizens reside in an EU country other than that of their birth. International road haulage amounts to one-third of total EU traffic. Imports from within the EU amount to one-fourth of GDP. These numbers tell us how integrated the EU is – or rather was, before the coronavirus prompted a de-facto closure of national borders. And the numbers show how much is at stake in what amounts to a fragmentation of the EU along national borders.

Read the post on Bruegel's website

Questions to the High Rep / VP designate of the European Commission

Bruegel Post, 30 September 2019

[Note: This post is part of a series prepared by Bruegel scholars ahead of the hearings of Commissioners-designates in the European Parliament. It focuses on the dimensions of the High Rep/VP mission that bear some relation to economic policy discussions. It does not address the pure foreign affairs dimensions of his mission]

In her mission letter, President-elect von der Leyen emphasises that she wants the next Commission to be a geopolitical Commission. She envisages a more strategic, more assertive and more united Union in its approach to international relations, and she would like the High Representative / Vice-President to contribute to creating a stronger link between the internal and the external aspects of EU policies, so that the external action becomes a systematic part of decision-making processes. More specifically, she would like the action to all external-facing Commissioners to be better coordinated, in particular through letting them participate in a dedicated group chaired by the VP for a Stronger Europe in the World.

These aims largely coincide with the requirements put forward in our memo to the High Representative, in which we called for a refocus from the internal to the external aspects of EU policies, emphasised the new linkages between the economic and foreign relations / security dimensions of its interaction with the rest of the world, and advocated a “change of mindset” to address the threats to the EU’s economic sovereignty. We therefore welcome this new emphasis as it is indicating awareness of the magnitude of the challenges the EU is facing on the world stage, and of the need for a reset in its approach to international relations.

A number of questions nevertheless arise.

1. Do you consider that the new global context calls for ending the traditional separation between external economic relations and foreign relations?

This separation, which resulted from the primacy of the United States both as the ultimate provider of security to European states and the guarantor of the international economic system, is one of the key premises upon which the EU system was built. It has made it possible for the EU to keep foreign and security policy and foreign economic policy essentially unconnected. Beyond the stance of the current US administration, international relations are likely to be dominated by the US-China rivalry and its across-the-board implications for security, diplomacy, trade, finance, the internet and a series of other fields. Neither the US nor China separates the foreign affairs / security field from the economic field. This is a context the EU should adapt to.

2. Do you regard economic sovereignty as an appropriate concept and if so, how would you define it in the present context?

Economic sovereignty means different things to different people. It is crucial for the EU to be as clear as possible about its aims. In the US, there is a growing debate about the benefits of trade openness as well as about the potential gains from decoupling from China. But a decoupling strategy cannot be in the EU’s interest. EU prosperity critically depends on global economic exchange and China is set to become an increasingly relevant trading partner for the EU. It is therefore in the EU’s interest to retain its trade openness tradition and specifically to engage with China. While the US is in direct geopolitical confrontation with China, the EU is not. The central challenge for the EU is therefore to uphold its economic sovereignty while staying highly intertwined with both the US and China.

3. Do you regard both the Chinese and the US attitudes as potentially threatening for Europe’s economic sovereignty?

Europe is a collection of countries whose cooperation is largely governed by rules, whereas China is governed by a one-party system. China’s growing influence over individual EU countries, its blurring of economic interests and security/military goals, and its divergence from multilateral standards are all source of concern for the EU.

The relationship with the United States is different. The US has been Europe’s most important ally since the second world war and our ongoing alliance with it reflects Europe’s democratic values and history. But the use of the centrality of the US financial system and the US currency to enforce US preferences unilaterally is a blow to Europe’s sovereignty.

Europe’s response to this new situation has been piecemeal. It has shown a readiness to address the new challenges in various fields. But what it needs is a more encompassing strategy for a context in which partners and competitors are prepared to let economic relationships serve broader geostrategic goals.

4. How will you proceed to trigger the necessary change of mindset?

A long-established EU tradition is that policies are run in silos and to a large extent depoliticised. This fragmented approach had its logic as long as the overall framework for international economic relations was stable. It has shaped attitudes, but also procedures and legislation. There are considerable obstacles on the way to a more coherent approach and there are even good reasons to retain a separation across fields. Within the Commission, policy in certain domains will and probably should remain independent from the overall foreign relations priorities.

5. What are the organisational and procedural steps needed to ensure a better coordination within the Commission?

How do you conceive your coordination role within the Commission? Which among your colleagues are those you should work with in priority? Do you envisage creating an economic sovereignty committee with your colleagues for enlargement and neighbourhood, trade, development, humanitarian aid and migration? The External Action Service is currently separate from the Commission services. Does it need to be brought under the same umbrella?

Thomas Piketty’s New Book: Impressive Research, Problematic Solutions

Peterson Institute Real Time Economic Issues Watch, 19 September 2019

Thomas Piketty’s Capital in the Twenty-First Century blended history, statistics, and theory. Capital and Ideology,[1] his new magnum opus, is long enough (1,200 pages) to lump together several books: a quantitative history of inequality through time and space, from medieval Europe and ancient India to present-day societies; a largely noneconomic theory of social stratification; an investigation into the social roots of current populism; and a political manifesto for the European left. From the extraordinary wealth of its empirical material to the breadth of its cultural scope, and from the rare alliance of statistical precision and literary references to the level of its intellectual and political ambition, there is much to commend in this remarkable book.

From a policy standpoint, however, its last part, where the author offers an agenda to promote social fairness, deserves the most thorough discussion. It is much shorter but at least as ambitious as the analytical chapters.

Piketty’s goal there is to offer a new paradigm to substitute the largely obsolescent social-democratic project. This ambition may seem excessive. It is rather fundamentally right. In the current context of social anger, catalogues of down to earth policy proposals neither convince voters nor provide policymakers with a guide for real-time decision making in an unpredictable environment. Democracies nowadays need directions as ambitious as the welfare Keynesianism of the 1960s or the small government, free market project of the 1980s.

Purportedly realistic agendas, furthermore, often fail to tackle pressing challenges. Wealth inequality, income inequality, and inequality of access to essential goods such as education and healthcare have reached levels where they cannot be addressed by tweaks on the margin of the sort usually discussed in the policy debates.

Piketty’s bold agenda relies on three main pillars. The first is the empowerment of employees through a radical reform of corporate governance; the second is a massive redistribution of wealth and income through an overhaul of the tax system; the third, which essentially applies to Europe, is a move to transnational federalism. There are good reasons to contemplate each, but each is also highly problematic.

Empowering Employees through Reform of Corporate Governance

First, corporate governance. A recurring theme of the book is a critique of the absolutism of property rights (what it calls proprietarisme). Piketty despises communism, but he considers the gradual extension of the sphere of private property (from land to manufactures, intangible capital, and data) and the parallel increase of shareholder power as capitalism’s main curse and a fundamental cause of the rise in inequality. Drawing on the German and Swedish experiences, he aims to restore a balance between capital owners and employees.

His proposals, however, go beyond the German codetermination, where employee representatives get half of the seats on the supervisory board while shareholders generally appoint the executive board, which in practice ensures that the latter retain control of decisions but provides employee representatives with good access to information and a say on the overall strategy. Piketty envisions more on two fronts: He advocates giving employees half of the seats on the board of large companies and capping the voting rights of shareholders holding more than 10 percent of a firm’s capital.

There is no reason not to contemplate pro-labor corporate governance reforms, especially in an economy where human capital matters more and more. What is striking in Piketty’s proposals, however, is that he envisages the issue from an almost exclusively distributional point of view. Whether or not his reforms would be conducive to social efficiency, spur innovation, or help to curb corporate short-termism seems largely outside his scope. Capitalism is looked at primarily as a wealth accumulation machinery, not as a driver of economic transformation.

Redistributing Wealth and Income through Overhaul of the Tax System

Taxation is the second instrument through which Piketty intends to contain the concentration of wealth and property. His proposals on this front are both precise and radical. Numerical benchmarks are presented as indicative, but the goal is unambiguous: to transform the nature of property to make it temporary rather than permanent. Piketty’s social utopia is explicitly akin to a land ownership regime where property is regularly redistributed from the landlords to the peasantry.

Three different progressive taxes are to be mobilized to this end: a wealth tax, an inheritance tax, and an income tax. The proceeds of the first two, about 5 percent of GDP, would finance a universal capital allocation whereby on her or his 25th birthday, every citizen would be endowed with 60 percent of the average wealth (or about $130,000 in advanced countries). The third one would yield about 40 percent of GDP and finance public goods, social insurance, and a basic income for the poor.

These numbers may not look that radical. Public spending amounts to 45 percent of GDP on average in the European Union, so the overall tax burden could remain roughly constant. However, the suggested parameters point to a fundamental overhaul of the property regime. Based on table 17.1 on page 1130 of the book, the annual tax rate on wealth could reach 5 percent for a person with net assets worth ten times the average wealth. Knowing that Piketty would (rightly) tax all forms of wealth equally and that average French household wealth amounts to €250,000, the tax on a €2.5 million wealth would be €125,000 annually. By comparison, for the United States, Senator Elizabeth Warren envisages only a 2 percent marginal tax rate on wealth above $50 million (instead of Piketty’s effective rate of 10 percent), reaching 3 percent above $1 billion (instead of more than 60 percent).

On top of that, the same assets would be liable to a 60 percent estate tax, and the effective tax rate on income would reach 60 percent for a person earning ten times the average income. Such levels would most likely eradicate property above a relatively low threshold, except for entrepreneurs able to achieve stellar returns on capital. Simulations by Emmanuel Saez and Gabriel Zucman (2019) on the 400 richest US individuals actually indicate that a 10 percent marginal wealth tax on assets above $1 billion would have prevented the trend deformation in the distribution of wealth observed since the 1980s. Piketty’s combination of a confiscatory wealth tax, a highly progressive estate tax, and a highly progressive income tax would go much farther. It would imply the end of capital ownership as we know it.

Again, there is nothing wrong about breaking taboos and considering fundamental capital ownership reform. But on the condition that repercussions are addressed. Piketty’s apparent disdain for the implications of his proposals is mind-boggling. He does not even bother discussing consequences for saving rates, investment behavior, or innovation. As for corporate governance, distribution seems to be his only lens. Whereas the repeated use of capital in the title of his books is an unmistakable reference to Karl Marx, Piketty shows almost no interest in the production side. Capital, for him, means little more than wealth.

Moving to Transnational Federalism in Europe

The third pillar, European federalism, is conceived as a way to overcome the policy constraints stemming from the distortions created by tax competition and the European Union’s unanimity rule on taxation matters (and, obliquely, from the eurozone’s fiscal discipline framework).[2] To solve the stalemate resulting from the addition of veto powers within the EU Council (where each country is represented by its minister), he advocates democratizing the European Union and transferring taxation powers to a new assembly combining national and European parliamentarians.[3]

The diagnosis is correct, but the solution is unlikely to see the light. The problem in Europe is not, as Piketty pretends to believe, the composition of the parliament. It arises from the much more fundamental fact that nations that have agreed to pool economic sovereignty in a range of fields are not ready to endow the European Union with competences for either taxes or wealth distribution. This has been their position since the origins, and the current political climate makes them even less sympathetic to such ideas than ever before.

Apart from the fact that an assembly combining national and European parliamentarians would probably not behave according to Piketty’s wishes, why would states suddenly agree to a fundamental change in the distribution of competences? In Germany, the question has become a constitutional matter. In a series of rulings, the Federal Constitutional Court has erected barriers to the transfer of new powers to the European Union. Ironically its argument is of the same nature as Piketty’s, but its conclusions are the opposite: For the Karlsruhe court, the European Union is not sufficiently democratic to be endowed with significant new competences, because the citizens of the country whose demographic weight is the strongest—Germany—are underrepresented in its institutional system.

On all three accounts—corporate governance, taxation, and European governance—Piketty’s proposals, therefore, raise many questions that he fails, or does not even attempt, to answer. Absent a systematic discussion of the implications of, and possible objections to, his ideas, they can hardly be regarded as serious policy proposals. In the end, what is deeply disturbing in his book is not the radicalism of his plans. It is the contrast between the thoroughness of his empirical analysis and his casual approach to policy issues.

[1] The book is available only in French.

[2] Piketty’s proposals largely reproduce those made by him and his coauthor in 2017 in a project for a new European treaty.

[3] EU legislation results from “codecision” (joint approval) of the European Parliament and the Council of the European Union.

Can the primacy of economics survive great-power politics?

Contribution to the Aix-en-Provence Economic Forum, July 2019

Europe for a while believed that a rules-based order was gradually taking hold of the world. The Cold War was over, rogue states were just a few and international law was gaining credence. In the economic sphere, trade, exchange rate and increasingly financial relations were governed by common principles. Global regulation was making progress. Competition law was being enforced regardless of the nationality of the corporate giants involved. States could be taken to courts.

Because it is itself a community of law, the EU felt at home in this emerging system. True, the institutional and regulatory architecture of globalisation was still far from complete. True, the US remained reluctant to be bound by international law. True, emerging countries felt that the rules were biased in favour of the incumbent powers’ interests. But the trend seemed clear.

This belief is being shaken by the return of great-power politics, first and foremost by the China-US rivalry that is set to dominate the 21st century. The US under president Trump has become a much more transactional power. China under president Xi does regards the rules-based order as a Western construct of which it has no ownership – a perception shared by Russia and many emerging countries. At a time when global interdependence has reached unprecedented levels and when the management of global common has become an overriding priority for the future of mankind, power rivalry threatens to take the world back to the type of adversarial international relations that prevailed in the 19th century.

It is tempting to regard the current climate in international relations as a temporary aberration. But it would be illusory to rely on such a belief. First, the world has learned from the behaviour of the very guardian of the international order that once-imperative rules are here to be breached. The lesson will not be forgotten. Second, the rivalry between China and the US and the emergence of a multipolar world dominated by three of four blocs are deep trends, not momentary accidents. Third, the Trump administration’s peculiar stance on international trade may go, but the China stance of the US policy community has definitely shifted towards a much more confrontational approach.

Beyond national attitudes, what has been irreversibly shaken by recent developments is also the widely held assumption that the economic sphere was governed by its own rules and could to a large extent evolve independently from the geopolitical sphere.

Globalisation was not meant to imply the end of wars and power rivalries, but it was assumed that it could remain largely immune from them. Trust in the primacy of economics was such that it was assumed that the evolution of the global economic and financial system was driven by its own logic.

Recent events have shown that this was an illusion. The unilateral enforcement by the US administration of secondary sanction on Iran irreversibly signalled that infrastructures that were routinely regarded as common goods – a global currency and a US-centric global financial system – could by the stroke of a pen be turned into instruments of sheer power. By the same token, the US ban on Huawei and Google’s subsequent decision to stop supplying the Android system to its phone subsidiary signalled that there is no such thing as a common technology platform that is, and will remain, accessible to all participants in the global economy.

China does not separate economics from geopolitics either. It simultaneously seeks economic growth, technological development and geopolitical influence. For example, the acquisition by a Chinese firm of a European or US company may be motivated by national priorities rather than private profit-making objectives. Similarly, Chinese investment within the framework of the Belt and Road Initiative is motivated by a search for influence – including within the EU - rather than by the (often dubious) intrinsic economic value of the projects that are being financed.

Europe is slowly waking up to a new reality in which power trumps economics and where control of the nodes of economic integration – from the hubs of the monetary and financial networks to those of global data networks – can be turned into instruments of power. To use the cogent expression of political scientists Henry Farrell and Abraham Newman, it gradually realises that interdependence can be “weaponised”. In this context old concepts, such as economic sovereignty, are acquiring a new relevance.

The other big question is whether the global economy will avoid fragmenting into separate blocs. For decades the world has been moving towards a single set of technical standards, economic rules and behavioural norms under the oversight of unified global institutions. It may have entered a process of fragmentation. Even before the Trump administration’s initiatives, cracks were already noticeable in the fields of trade (with the weakening of the multilateral system), development finance (with the BRI and other Chinese initiatives), financial safety nets (with the substitution of bilateral swap lines to the IMF-centred financial support regime), money (with early Chinese initiatives to internationalise the renminbi) and internet regulation (with the emergence of a separate Chinese internet).

Recent events are bound to amplify what is not yet a general tendency. The question is, how far are we from the tipping point where the momentum towards integration would be lost and the global economy inexorably reshaped by geopolitics?